Almaren

Comme un pachyderme dans le marc...

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L’arrivée de Mastodon, un logiciel et un réseau véritablement social et libre qui a “explosé” en avril 2017, secoue nos habitudes et offre, pour la première fois à mes yeux, une alternative viable aux grands réseaux publicitaires.

Comment le nid de l’oiseau bleu a fini par devenir incomfortable…

Comme un éléphant dans son nid

Il y a un peu plus de dix ans, le 7 mars 2007 précisémment, je m’inscrivais sur un site dont le nom était revenu à plusieurs reprises dans mes flux RSS ce matin-là: Twitter.

Vous vous rappelez des flux RSS? Précisémment. C’était à une tout autre époque, du points de vue du web. Et Twitter également était alors tout autre chose que la mare nauséabonde que nous connaissons aujourd’hui.

Oh, il y a eu du bon également dans Twitter, et même du très bon… Les premières années (de 2007 à 2010 à peu près) furent fort intéressantes et m’ont bien accroché au service. On pouvait y tenir de véritables conversations, parfois avec des gens que l’on admirait de loin. J’ai eu ainsi le plaisir d’échanger un ou deux mots en ligne avec des personnes telles que Jeffrey Zeldman ou même Stephen Fry, que je n’aurais jamais osé approcher en chair et en os. On échangeait des gags, des tuyaux, des bons liens… On s’étonnait de découvrir que ce qui paraissait initialement une contrainte sévère (140 caractères pour exprimer son “gazouilli”) pouvait mener à des formes d’expression artistique intéressantes. J’ai encore en ma possession un livret (publié chez Penguin sauf erreur) recueillant des créations littéraires nées sur le site à l’oiseau bleu. Ma Meilleure Moitié s’est essayée pour la première fois aux haiku sur Twitter. “Ha! Great fun!”, comme on dit…

Puis, inévitablement, ce qui était un (gros) village au caractère sympathique s’est développé. Des industries et des médias s’y sont implantés. Et, toujours, quelque-chose me maintenait accroché à Twitter, au point de délaisser mon propre bloc-notes Almaren (dont je dois, depuis, encore ressusciter les archives). Initialement par inertie, sans doute. Puis, suite à la disparition de Google Reader en 2013, je me suis mis en quelque sorte à utiliser Twitter en remplacement. De nombreux médias avaient en effet saisi l’intérêt du service et commençaient alors à y être présents.

Bref, Twitter était passé, pour moi, du statut de réseau social à celui de… “réseau d’actualités”? Quelque-chose comme ça.

Depuis, les choses ont suivi le cours que l’on connait: utilisation de plus en plus prononcée du réseau par des marques à des fins publicitaires ou par des personnalités à des fins d’auto-promotion, émergence de plus en plus marquée de comportements abusifs et malsains, entrée en bourse, publicités, changements incompréhensibles de fonctionnalités et d’interface, etc.

À un niveau plus personnel, l’utilisation que je faisais du site devenait de moins en moins intéressante et de plus en plus passive. Pour finir, au cours de ces dernières années le service proposé par Twitter est devenu pour moi plus un lieu où déposer de liens intéressants, que je pouvais ensuite importer dans un service tel que Pinboard, qu’un endroit où tenir une conversation plus ou moins intéressante en 140 caractères. Avec l’arrivée de services tels que Refind, cette utilisation d‘“enregistreur à liens” a également fini par perdre sa raison d’être.

Entre-temps, Twitter était passé du statut de “réseau d’actualités” à celui de réseau publicitaire. Il n’est aujourd’hui presque plus possible de publier un tweet sans se faire immédiatement bombarder de réponses et fake-follows au fort arrière-goût de spam

Bref, depuis quelques années déjà les choses avaient suffisamment muri pour espérer l’émergence d’une alternative sociale en ligne viable. Pour plusieurs d’entre nous, d’ailleurs. Nous avons été nombreux à brièvement y croire, à vouloir y croire, lors de l’ouverture de Google+ (vous vous en rappelez? Ouais, je pensais bien…). Puis on a parfois tâté du bout des lèvres des offres comme Diaspora, Ello, Sublevel, etc. Ça ne vous dit rien? My point, exactly.

Et la concurrence, dans tout cela? Je n’ai jamais trouvé Facebook à mon goût, j’ai d’ailleurs déjà effacé mon compte sur le Grand F à deux reprises… Pour le rouvrir plus tard, essentiellement pour des raisons de veille professionnelle. Il est vrai que sa taille, que l’on aime cela ou pas, rend Facebook pour l’instant difficile à éviter, cependant je ne parviens pas à considérer ce service comme mon home sur le web. Instagram est plutôt intéressant, mais limité dans sa versatilité. Les Snapchat, Peach et autres Tribe sont des nouveaux services qui me font… sentir vieux? C’est un peu ça: j’ai l’impression d’y débarquer comme un papa au milieu de la boum organisée par sa fille… Pas à ma place. Et c’est très bien ainsi.

Soudain, un barrissement dans le ciel!

Un éléphant en plein vol

En mars 2017, un article écrit par un certain Eugen Rochko, un jeune développeur allemand de 24 ans, a attiré mon attention. Il était intitulé “Learning from Twitter’s mistakes” , et bien que daté du 3 mars 2017 il est fort probable que je ne l’aie lu que quelques jours plus tard (en rétrospective, j’aimerais bien penser que ce fut pile le jour du 10ème anniversaire de l’ouverture de mon compte Twitter…). En soi, Eugen touchait à des sujets dont on discutait déjà depuis longtemps (harcèlements et molestations en ligne, vie privée, etc.), mais il semblait présenter une approche soigneusement réfléchie à la question dans un outil qu’il était en train de développer. En tâchant d’en savoir un peu plus sur lui, je suis tombé sur un autre article qu’il avait écrit auparavant: “The power to build communities, a response to Mark Zuckerberg” , et décidémment le bonhomme me plaisait de plus en plus.

J’ai donc ouvert un compte, pour voir, sur son outil qu’il avait appelé Mastodon. Pas encore grand chose à y voir ou à y faire, mais je me suis dit qu’avec le temps… Mais coder furieusement ne semblait pas suffire à Eugen, voilà qu’il publiait un troisième article: “Two reasons why organizations should switch to self-hosting social media” - et là, son argumentaire avait définitivement trouvé une oreille attentive en ce qui me concernait. Mais tout cela paraîssait encore lointain et vaguement abstrait… Comme quoi, un proboscidé ça peut tromper!

Enfin, le 1er avril 2017 (non, ce n’est pas un poisson, mais un pachyderme), Eugen a annoncé Mastodon au grand public. Tout s’est alors enchainé très rapidement: le 4 avril, Mashable reprend le sujet avec son article “Bye, Twitter. All the cool kids are migrating to Mastodon.” , qui m’a ramené à jeter un coup d’oeil sur Mastodon… Et quelle surprise d’y trouver alors une communauté émergente florissante! Des francophones s’y trouvaient également, et pas en petit nombre, probablement suite à un article paru dans Numérama le 3 avril: “Découvrez Mastodon, un clone de Twitter libre, open source et décentralisé” . Ce même Numérama deviendra le premier média francophone à ouvrir sa propre instance Mastodon. Et nous avons très rapidement assisté à l’arrivée du Japon sur le réseau, probablement suite à un article similaire. D’ailleurs, nos amis du Soleil Levant sont désormais, et de loin, les utilisateurs les plus nombreux de Mastodon!

Eugen a dû rapidement fermer les inscriptions sur son “instance-exemple” (une installation de Mastodon) mastodon.social, afin que le serveur ne plie pas sous l’afflux. Ce qui aurait pû être un coup fatal pour un réseau centralisé s’est cependant révélé être véritablement du pain béni pour Mastodon: en effet, les installations du pachyderme peuvent être “fédérées”, elles peuvent communiquer entre elles. Très rapidement, nous avons vu de nouveaux serveurs Mastodon ouvrir leurs portes au public, et tout un écosystème de cultures et approches différentes émerger de ce joyeux fouilli. Voyez à ce sujet le très sympathique article “From Witches to Dolphins, These Are the Communities That Make Mastodon Great”

Je ne vais pas revenir en détail sur ce qui rend Mastodon si intéressant, différent et attirant (qui a dit “ouf!”?!): logiciel libre et ouvert, installable sur son propre serveur; réseau décentralisé permettant aux différentes installations d’exister de manière indépendante l’une de l’autre et chacune avec ses propres règles, mais de se “fédérer” à l’envi, de communiquer entre elles; options intelligentes permettant de communiquer de manière privée ou publique; outils permettant de limiter les comportements abusifs de certains utilisateurs; pas de démarche commerciale, etc.

Il y a cependant, à mon avis, deux autres facteurs qui ont contribué à ce beau succès initial de Mastodon (presque 400’000 utilisateurs de par le monde quelques 20 jours après avoir ouvert ses portes).

D’une part, les communautés qui sont en train de se créér rappellent la joyeuse et douce anarchie des BBS et des débuts du World Wide Web où tous les adeptes y allaient de leur page qui était, alors, vraiment personnelle. Et c’est là quelque-chose d’attirant pour pas mal d’entre nous, citoyennes et citoyens de la Cybérie. Preuve en est, récemment, le succès éphémère et vertigineux de l’expérience du tilde.club. Cette nostalgie d’une époque qui nous apparaît à présent plus simple, plus saine, plus créative, semble nous rendre plus attentifs aux autres, pendant un temps du moins, plus portés à construire une communauté en y apportant un esprit positif plutôt qu’à la détruire par des comportements négatifs. J’en veux pour preuve le nombre de tutoriels et modes d’emploi qui ont été publiés au sujet de Mastodon ces derniers jours, ainsi que l’accueil qui est fait aux nouvelles et nouveaux venus.

D’autre part, tout bêtement, l’éléphant est tombé au bon moment. Non seulement tout juste lorsqu’un ras-le-bol général envers les grands réseaux publicitaires se fait fortement sentir, ou que le besoin de se distraire de la triste actualité du monde est très vif, mais aussi, tout bonnement, avant la pause pascale. Il y a fort à parier que nombre de serveurs Mastodon ont pu voir le jour grâce à ces quelques jours de congé, nombre de tutoriels ont pu être écrits en profitant du carburant chocolaté présent en abondance sur nos tables ces jours-cis… Je sais bien que tel fut le cas pour moi!

Bon, pour le succès de Mastodon au Japon il faudra peut-être chercher une autre explication que celle liée à Pâques, par contre…

Un café avec le Mammouth

Un café qui ne trompe pas

Bref, personnellement je suis rapidement tombé sous le charme. Et la tentation était trop belle: après tout, n’avons-nous pas, mon épouse et moi-même, lancé notre Atelier Mammouth il y a tout juste dix ans à l’automne? Si le site de l’atelier prouve une fois de plus qu’un cordonnier est toujours mal chaussé, j’avais bien envie pour ma part de reprendre l’expérience tilde.club pour mon compte.

Et c’est ainsi que, le 10 avril 2017 (lundi de Pâques), j’ai installé une instance Mastodon sur notre serveur. Puis, après avoir vérifié que tout tournait encore rond le lendemain (c’est tout de même la première fois que je touche à un projet codé en Ruby…), le 11 avril j’ai ouvert les portes du Mammouth Café: artistes, illustratrices et illustrateurs, journalistes, auteures et auteurs, bibliothécaires et archivistes, scientifiques, ingénieures et ingénieurs, enseignantes et enseignants, ainsi que tous les esprits curieux sont particulièrement bienvenus!

Depuis, l’expérience semble déjà attirer quelques personnes. Afin de limiter la charge de gestion de la communauté et les coûts, j’ai toutefois posé la limite à 640 inscriptions maximum au Café. Ensuite nous verrons bien… Pour l’instant, nous en sommes encore loin! Mais déjà j’observe avec plaisir des membres aider les nouvelles et nouveaux inscrits à s’y retrouver dans l’interface, ainsi que des conversations fort intéressantes se tenir autour des tables du Café.

Certes, il est encore trop tôt pour dire si tout cette agitation autour de Mastodon va retomber comme un soufflé ou si notre ami poilu à trompe va vraiment pouvoir devenir un réseau social vivant dans l’esprit initial du Web cher à Tim Berners-Lee: “This is for everyone” … Ce que je peux vous dire, c’est qu’au moment de mettre mon compte Twitter en hibernation au bout de dix ans, je n’ai pas éprouvé de regrets ni d’amertume, mais uniquement une grande indifférence…

Un signe qui ne trompe pas. Oh, je ne suis pas un ingrat envers l’oiseau bleu: j’y ai fait aussi de belles rencontres, il y a un ou deux contacts auxquels je tiens et avec lesquels je vais continuer de communiquer, il est possible que j’aille à l’occasion encore zyeuter dans la cage dorée du petit oiseau bleu…

Ce qui est sûr, c’est que pour la première fois depuis longtemps je suis vraiment curieux de voir ce qu’une communauté naissante va devenir! Peut-être que tout n’ira pas pour le mieux. Peut-être que si. Mais ça donne envie de voir ce que ça va donner. Ça donne envie d’explorer.

Alors, on explore ensemble?


Vous pouvez me suivre sur… @skk@mammouth.cafe ou @citizenk@mastodon.social

Vous êtes également bienvenue ou bienvenu au Mammouth Café: mammouth.cafe